Malcolm Gladwell, auteur notamment du livre "The Tipping Point" sur le marketing viral avant que cette technique ne devienne vraiment répandue, vient de signer un très bel article dans le New Yorker : Twitter, Facebook and Social Activism: Why the revolution will not be tweeted. (L'image ci-contre en est extraite, crédits Seymour Chwast).
Je propose de vous en relater les points les plus remarquables.
Tout d'abord, l'auteur décrit la manière dont un mouvement de protestation contre la ségrégation aux Etats-Unis a démarré un soir de 1 février 1960 à Greensboro, en Caroline du Nord : quatre étudiants noirs américains font un pari et décident de s’asseoir dans un bar dans les places réservées aux blancs. Ils attirent ainsi l'attention de quelques badaux et d'un photographe, tout en se faisant au mieux traiter de stupide. Le lendemain, ils sont 27 hommes et 4 femmes, en provenance du même dortoir de la même école à défier la ségrégation dont ils sont victimes. Puis 80 le jour d'après, puis 300, puis 600 en quelques jours. Au bout de 7 jours, ces "sit-in" s'étendent jusqu'à 50 miles du lieu d'origine, pour à la fin du mois, de campus en campus et d'Etat en Etat, atteindre le Texas. Malcolm insiste notamment sur la "fièvre" qui s'empare des étudiants et de la population participant à ces sit-in : "It was like a fever. Everyone wanted to go".
Cet exemple sert de fil rouge à l'article pour expliquer les limites des medias sociaux actuels pour générer une telle forme d'activisme et de mobilisation. Il déconstruit tout d'abord le mythe de l'apport de twitter aux protestations aux élections iraniennes de 2009. Il explique ainsi que les journalistes occidentaux ne pouvant joindre les iraniens, ils se sont concentrés sur le hashtag "iranelection". Il lui apparaît peut probable que des individus iraniens cherchant à se coordonner localement écrivent en anglais plutôt qu'en Farsi.
Il explique également que les sit-in de Greensboro se sont formés d'abord via une communauté de semblable (étudiants logeant au même dortoir), qui fomentaient depuis un certain temps une action. Cette dernière n'a rien eu de spontané, y compris quand elle a commencé à s'étendre. De forts liens et échanges pré-existaient entre manifestants. Dans la même déduction, les terroristes-activistes des Brigades rouges italiennes des années 70 étaient composées à 70% d'individus ayant au moins un bon ami enrolé.
Ce point est crucial pour Gladwell qui indique que les medias sociaux sont basés sur des liens faibles, et ne permettent donc pas vraiment de servir de support à l'activisme naissant. Pour lui, ils sont efficaces pour les actions peu risquées, ne nécessitant pas d'affronter des normes sociales pré-établies. Ils baissent la barrière à l'entrée à la participation : "Facebook activism succeeds not by motivating people to make a real sacrifice but by motivating them to do the things that people do when they are not motivated enough to make real sacrifice". Exemple: les 1 282 339 membres du groupe facebook "Save Darfur Coalition", qui ont donné en moyenne 9 cents.
Seconde limite des medias sociaux selon l'auteur, ils fonctionnent en réseau, et non pas avec une structure hiérarchique. Or il y a plusieurs choses que les réseaux ne font pas bien : atteindre un consensus, arbitrer des querelles, penser stratégiquement, construire une structure puissante. Pour étayer son propos, l'auteur indique que les organisations terroristes privées de leurs leaders hiérarchiques sont nettement moins efficaces. Les réseaux sont peu ordonnés "think of the ceaseless parttern of correction of revision, amendment and debate, that characterizes wikipedia. If Martin Luther King had tried to do a wiki-boycott in Montgomery, he would have been steamrollered by the white power structure." Gladwell termine son article en déconstruisant également quelques unes des théories de Clay Shirky sur l'apport des medias sociaux dans l'organisation des communautés, les cornérisant à la recherche d'un téléphone portable volé plutôt qu'à un réel activisme politique.
Afin de se faire une contre-opinion, regardez justement les théories de Clay Shirky, auteur de "Here comes everybody : the power of organizing without organisation"
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