Bon, voici un petit compte rendu des rencontres
européennes des artistes à Cabourg, organisées par l'adami,
évènement annoncé
ici, qui a eu lieu jeudi et vendredi dernier. Pour vous faire votre propre avis, n'hésitez pas également à lire le CR d'Estelle Dumont de Zdnet.
Tout d'abord, un énorme merci à toute l'équipe pour m'avoir permis non
seulement d'assister aux tables rondes, mais également d'avoir pu y prendre part en tant qu'intervenant.
Merci donc à l'équipe de com' et de choc, bravo Claire, c'était super bien
organisé et très instructif...
1) Le premier atelier avait pour thème "les modèles économiques
alternatifs pour valoriser la musique", quelques moments forts (tirés du
Compte Rendu distribué):
- 2,5milliards de personnes possèdent un tel portable
- 4,4 écrans en moyenne par foyer français selon l'INSEE
- en 2005, il s'est vendu 4,7 millions de baladeurs numériques audio, contre
100 000 baladeurs vidéo en France.
- le film bubble de Soderberg ( qui est sorti en meme temps en salle et en DVD)
début janvier, a couté 1,6M$ à produire, a généré 72K$ en salle et 5M$ grace
aux ventes DVD (4 fois plus que prévu) = succès
-"Nous comprenons maintenant que le piratage est un modèle
économique", cf Anne Sweeney, présidente de Disney-ABC Television Group,
9/10/06, au Mipcom
2) Sinon, le second atelier avait pour thème les enjeux après DADVSI, avec certains
pro-renforcement de la loi et de la répression comme Dominick Luquer (sec gé de
la fédération internationale des acteurs), et Benoit Machuel (sec gé de la
fédération internationale des musiciens), qui à mon avis, n'ont pas compris les
enjeux économiques derrière, car leur discours ne constituait pas une réponse appropriée au numérique. Du coup, j'ai eu peur pour mon intervention de
l'après-midi :) Sinon, les élus du PC (Francis Parny) et des verts (Frédéric de
Beauvoir) ont centré eux le débat plus sur un choix de vision: veut-on
ou non une culture partagée et accessible par tous?
3) Enfin, le dernier atelier s'appelait "l'Artiste du futur",
et je remercie l'adami de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer devant un
public que je ne cotoie malheureusement pas habituellement, à savoir: SACD, Promusicfrance (bonjour Rémi:), SCPP, INA, SACEM, SNEP, SPRE, et d'autres
acronymes/organisations dont malheureusement je ne connais pas toujours la
signification. En tout cas, a priori, c'était loin d'être un public conquis par
"L'Âge de Peer" dans lequel nous entrons :)
Intervenaient également: Agnès de Cayeux de ‘X réseau’ ; Gréco Casadesus, compositeur et président fondateur de l’Union des compositeurs de musiques de films ; Thierry Coduys de ‘La Kitchen’ ; Daniel Kapélian, auteur, enseignant et producteur multimédia ; Arnaud Labaronne, réalisateur ; Philippe Ogouz, président de l’Adami et ToTOM, producteur de mashups.
Donc j'ai commencé par exposer la vision de Cory Doctorow sur le créateur du futur (pas forcément artiste du futur), à savoir : "dans 20 ans, nous aurons
tous écrit un livre, enregistré une chanson et tourné un film".
Et puis j'ai indiqué comment 57% des adolescents internautes créent du contenu
aux Etats-unis, et le développement des Pro-Ams dont mon ami bootleger Totom
est une parfaite illustration, puis la baisse des coûts des outils de création,
donc brouillement de la frontière pro/amateur + développement du Consumer
Generated Content.
Illustration: star wars
revelation, téléchargé 2 millions de fois en 3 semaines, cout de 20 000$,
effets spéciaux dignes de Georges Lucas. Autre exemple, Tarnation,
218$, cout d'une seconde deu film Titanic, monté, réalisé et tourné avec des outils
tous grands publics + nombreux exemples de groupes autoprod, Clap your hand say hey qui a vendu
via son blog à 22000 exemplaires, ou encore Nemesa
sur sellaband etc...
La-desssus j'explique la mutation du droit d'auteurs, pour s'adapter à cette
nouvelle donne: développement des licences libres, 45 millions d'oeuvres sous
licence CC, Soundclick compte 220 000
chansons sous Creative commons, Jamendo en France a un taux de croissance record...
Conséquences: abondance de contenu, et entre deux morceaux au format MP3, de plus en plus dur
de reconnaitre si le morceau a été enregistré dans un studio à 10 millions
d'euros, ou dans un home studio, et puis d'ailleurs, who cares? sûrement
pas les 6 clients sur 10 d'EMI qui achètent des CDs pour les numériser dans la
foulée. Du coup, music and content like water, je déballe les chiffres: Youtube 100 millions de vidéos et clips vus par
jour, légalement, INA 10 000 heures de radio et télé quasi toutes gratuites,
légalement, Myspace 3 millions d'artistes qui
proposent gratuitement leur musique etc...
Conséquence: télé/radio peuvent pas gérer cette complexité (selon l'observatoire de la musique,
les radios jeunes - vibration, fun, voltage, oui fm, nova, nrj, skyrock etc -
jouent 800 titres différents par trimestre toutes réunis !). Donc en 2010,
selon l'institut gartner - Consumer
taste sharing is driving the online music business - 25% des achats
de musique en ligne seront générés directement par des applications de
partage de goûts communautaires.
Là dessus, j'explique que face à l'abondance de contenus, il faut trouver la
bouteille d'Evian, je m'apprête à l'expliquer et...fin de mon temps de parole
;-)
Bon, ben, du coup, ça fait du bon teasing pour le livre, mais c'est pas le but.
En tout cas, la salle a réagit vivement aux idées de créations via les
activités de pair, et l'abondance de contenu sur internet: on m'a expliqué
qu'il s'agissait d'une sous-culture.
Je vais réagir ici, car je n'ai pas eu vraiment l'occasion de le faire en
direct: "sous-culture". Hum, la culture n'existe-t-elle pas parce
qu'elle est partagée par le plus grand nombre? la définition même de culture
n'implique-t-elle pas l'idée de partage et de "masse"? la culture
n'est elle pas justement l'ensemble de ces oeuvres tombées dans le domaine
public et accessible à tous (pourquoi les musées, symbole même de la culture,
sont-ils gratuits à Paris?). Certaines personnes ont l'air de se proner garantes et
créatrices d'une culture "supérieure", mais si ces dernières continuent de la
bloquer avec des DRMs à tout va, la faire payer super cher en ligne, et
empecher son appropriation et sa diffusion au plus grand nombre par des procès,
leur "culture supérieure" va s'autodétruire d'elle meme et mourir avec
eux (malheureusement, car la culture est diversité, je ne le souhaite pas). Une culture partagée par
10 personnes est-elle une "culture" ou "un trip"?
Alarme donc: ne voit-on pas (je m'adresse à ceux qui pensent qu'internet génère une sous-culture, pas de généralité donc, la plupart des personnes durant les deux jours de conférence n'étaient pas de cet avis) que le contenu coule à flot sur internet et que se joue sur
ce terrain numérique une bataille de chaque seconde pour imposer une domination
culturelle: les américains, avec des alliances comme youtube/google ou
Universal/spiralfrog ont trouvé des solutions légales pour que leur culture
coule à flot sur le net (sans jugement de valeur de ma part, simple constat). Nous, pour mettre notre
contenu en ligne, on va acheter leurs solutions de protection (DRM), donner au
passage 15% des revenus de la culture à des entreprises américaines (une DRM coute
15 cents sur un morceau à 1$), en guise de remerciement d'avoir aidé notre
"culture" à s'assécher d'elle meme du net !
Projetons-nous en 2030, à cette époque ou nous saurons tous faire des bootlegs
ou des compositions comme ToTom ou DJ Zebra, nous irons chercher des souces sur
internet pour faire nos propres créations, on ne trouvera que des films, des
vidéos, des musiques anglo-saxones, du coup, nos enfants et petits enfants les
remixeront, par défaut, et participeront, de manière contrainte, au
développement d'une culture pas forcément choisie. Ne voit-on pas que
l'appropriation des oeuvres, leur remix et leur diffusion permet de les mettre
au gout du jour, passer les frontières du temps et les frontières linguistiques
(ex: les mash-up comme "Camille as you are" = Camille+Nirvana)? ne voit-on pas la bataille de langue
qui se joue sur les réseaux P2P? les films y sont sous-titrés par des bénévoles
pour favoriser leur développement hors des frontières ! si seules des sources
ou des créations anglosaxones y sont disponibles, il faut apprendre l'anglais !
Voilà, gros cri d'alerte, à court terme.
Maintenant mes amis, voici la seconde partie du discours que je voulais tenir
hier, sur la "bouteille d'Evian", qui réside dans la nouvelle
relation artiste/public. Je n'ai pas pu en parler faute de temps, donc je vous
la livre ici. Vous verrez du coup, que face à mon cri d'alerte cité plus haut,
le futur pourrait s'annoncer, je l'espère bien, comme ci-dessous :
Quelle nouvelle relation public/artiste en 2030?
Je vous propose un petit voyage dans le temps pour mieux comprendre le futur.
Souvenez-vous au Moyen-Age et avant, les artistes (peintres notamment), ne
signaient pas les oeuvres. Ces dernières d'ailleurs étaient souvent des
commandes (cf Michel Ange et la chapelle sixtine, Leonard de Vinci et les
nombreuses commandes papales etc...), et appartenaient du coup au
commanditaire. Pour les artistes musiciens se développa un système de mécénat
leur permettant de créer leurs oeuvres.
La relation artiste public était on ne peut plus directe. Jusqu'au
développement du phonographe fin 19ème et de la musique enregistrée, toute
personnes souhaitant écouter une oeuvre devait se rendre sur le lieu où elle
était jouée, en direct, à un moment précis. Chaque écoute était unique, et on
voyait l'artiste en même temps qu'on l'écoutait.
A partir du moment où la technologie à permis la fixation de la musique sur un support (en réponse à une demande grandissante de la part du public, et le
développement d'une masse critique d'auditeurs), et donc le fait qu'on puisse
l'écouter en différer, sans entrer dans une relation directe et visuelle avec
l'artiste (la musique "morte" selon Jacques Attali, par opposition au
spectacle vivant), est né un intermédiaire entre l'artiste et le public, capable
de fixer la musique sur support, à savoir le producteur-éditeur-distributeur
(répondant légitimement à un état de la société).
Ces derniers ont pris une telle importance au cours du 20ème siècle dans la
filière musicale et la vie de l'artiste (parce qu'ils ont démocratisé la
diffusion de la musique) qu'ils ont le pouvoir de faire vivre bcp
d'artistes/donnent du travail à bcp de monde.
Du coup, ce sont eux les équivalents des mécènes et des commanditaires du moyen
age (ne lit-on pas "un disque Universal" et le producteur n'a-t-il
pas de nombreux droits sur l'oeuvre finale?). Ils commandes des oeuvres à
l'artiste (ce dernier peut, par exemple, signer un contrat l'obligeant à fournir x CDs sur x ans par exemple), et modifient parfois certaines
oeuvres pour les façonner selon ce qui leur semble bien (sans jugement de valeur,
je ne m'exprime pas sur le fait que c'est bien ou mal, c'est un constat), comme
le ferait un commanditaire. Ces intermédiaires aujourd'hui sont donc le poumon de la
filière musicale.
Mais avec internet, la distance et la relation directe à l'artiste et à l'oeuvre
se renoue, et encore plus en 2030, démonstration en 4 points:
- On commence à retrouver le système de commande/sollicitation, et le public plébiscite les
meilleurs à ses yeux:
Sellaband permet aux artistes de se faire produire par le public: en 3 mois,
bcp d'argent levé, exemple the fakes
et nemesa (50K$ levés) + plateformes
comme amiestreet + noms du public dans le CD pour Myssa,
Eiffel,
Lonah (précommandes/subvention), et au générique
des films comme demain
la veille etc... + Outils pour plébisciter le talent: SFR jeunes talents,
youtube/cingular underground, Wanadoo discoveries, Reshape music, statistiques sur airtist, votes
sur le french bazar du mouv', lagrosseradio, top nouveaux talents, etc...
- On retrouve le système de mécénat interactif par les internautes:
Sur Artistshare, on peut souscrire à une formule allant jusqu'à 1000$/an en
échange de contenus fournis par son artiste préféré (ex: Diana Krall, Todd Coleman...). L'artiste propose alors des leçons de musique
personnalisées, accès aux coulisses, interviews, plus de contact direct etc...
Success stories: Maria Schneider, grammy avec Concert in the concert payé par
les fans + Jamendo 5000€ de dons and counting
- Le live à grande échelle devient possible:
Les festivals fleurissent en France, prix des places augmentent (x2 aux US entre 99 et 2005, papillons de nuit : +20%/an). Myspace qui compte 3 millions de pages artistes est en train de tester le myspace live - live retransmis sur sa page profil. Sandhi Thom a amassé 70 000 spectateurs en 3 semaines via son concert retransmis en webcam. Concert live aussi à l'intérieur des jeux vidéos comme second life (suzan vegas, duran duran etc...). Live 8 suivi par plus de 6 millions d'internaute en "live" durant été 2005 + nouveaux produits dérivés qui donnent à nouveau plus seulement à entendre mais à voir l'artiste: techno open disc avec chat exclusif, chat VIP MSN, les pages profils myspace avec leurs outils de com' donnent à voir l'univers de l'artiste comme on découvrirait son univers sur scène(habit, couleurs, dialogue). Retour à l'artiste vivant et à la prestation unique/non reproductible car live, via le net (si on veut retrouver la proximité et l'unicité du spectacle vivant, on se connecte à l'artiste via le net).
Pour info, sur la technologie opendisc, je cite Julie Demarigny, à l'époque où elle travaillait chez Sony, fév 2002: "Que
pensez-vous des extensions type Opendisc sur Internet,
qui proposent des titres supplémentaires aux
acheteurs de CD ? J'approuve à 100 %. Nous
avons développé ce type de projets avec
la Fonky
Family, 3ème
Oeil et 113.
Le meilleur moyen de combattre la piraterie est d'offrir
davantage de services associés à l'achat
d'un CD. Par exemple,
nous avons été étonnés de
constater que 35 % des personnes ayant acheté
le CD de la Fonky Family se sont identifiées
sur Internet pour découvrir les extensions du
groupe." source: JDN.
-Dialogue direct à grande échelle public/artiste:
Premier chat VIP de Diam's sur MSN messenger, puis Renaud. Sinclair chat avec ses fans, Pascalobispoblog, M tient un carnet de voyage, livre d'or de Louis Bertignac, messagerie interne myspace où les artistes répondent (Zebra, Ayo etc...). De plus en plus, les maisons de disque elles-même sont à l'initiative de ce nouveau dialogue.
CCL: Ces 4 éléments sont les caractéristiques clés de la "bouteille d'Evian" introduite plus haut. Ils sont les piliers de l'expérience musicale, qui ne sera jamais interchangeable. D'ici 2030, nous allons revenir à cette relation directe artiste/public-mécène-commanditaire riche en expérience musicale, que nous avons mis entre parenthèse. Les futurs intermédiaires de la filière musicale, aussi paradoxal que cela puisse paraitre, seront justement ceux qui sauront rapprocher les artistes du public, proposer du vivant dans la musique "morte" de J. Attali !
Sans doute viendront-ils du monde de l'internet et du logiciel, habitués à proposer des interactions personnalisées et sur-mesure à grande échelle. Dès aujourd'hui, certains "intermédiaires" sont très bien placés pour ce retour aux sources public-artistes: attitude-net, culture-buzz, atnetplanet, mediagong, et myspace etc... + rapprochement possible majors/éditeurs de logiciels...Je ne prédis surtout pas "la fin des majors", si ça trouve, ce sont elles qui prendront ce virage du vivant et du visuel dans l'objet dérivé, plus rapidement qu'on ne le pense (cf très bonne interview de Julie Demarigny, Warner Digital Business Developer, ici). Ou bien peut-être que les tourneurs seront les nouvelles majors...
RDV d'ici à 2030 pour voir ce qui se passe. Dans l'Âge de Peer, je m'arrête à 2010, qui me semble déjà un exercice périlleux, alors 2030 :) dans tous les cas, j'ai repris bcp d'éléments du livre de Jacques Attali intitulé "Bruits", écrit fin 1977, et qui n'a jamais autant été d'actualité...un livre toujours vrai 20 ans après, n'est ce pas le début d'une vision?
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