Bonjour à tous !
Comme vous vous en souvenez peut-etre (ou pas !), je suis intervenu à la seconde édition de la webTV festival de La Rochelle en mars dernier, à la table ronde suivante :
Internet et Politique : table ronde animée par Bérengère Beurdeley, responsable du Pôle Internet de Public Sénat, et réunira Alban Martin, auteur d’"Egocratie et Démocratie" chez Fyp, maître de conférence associé au Celsa Paris IV Sorbonne, co-fondateur et vice président du Social Media Club Paris, Antoine Nazaret, responsable actualité politique Dailymotion et Florent Latrive, responsable de Libelabo.fr
1) Voici le transcript complet à télécharger au format pdf : Téléchargement CR WEB TV et Politique.Il a été réalisé par les équipes du webtv festival et digiwriters.
2) Voici le lien pour visionner en ligne l'intégralité de la conférence, avec les vidéos que nous avonsprojetées (1h45minutes de discussion enflammées) : http://www.mativi.fr/actions/action_preview.php?flv=1507-4d944e0c6f
Enfin, vous trouverez ci-dessous quelques passages de mon intervention, bonne lecture et bon visionnage !
- Alban Martin : On vient de voir des vidéos qui ont pour contexte la campagne
présidentielle d’Obama. Je vous propose de réfléchir sur les prises de parole des
hommes politiques et des citoyens entre les élections. Quand ce n'est pas prévu que
la prise de parole soit encadrée. Entre les élections, on a le droit de s'exprimer, mais
il n'y a pas de cadre défini pour donner du poids à ces prises de parole. Pourtant,
c'est à ce moment-là qu'il est intéressant de regarder les initiatives spontanées pour
essayer d'utiliser les vidéos, pour militer, pour faire passer des messages. On va
montrer plusieurs petites vidéos. On commence par des représentants politiques…
Entre les élections, un usage innovant des vidéos, c’est celui qui est fait par nos amis
anglo-saxons, notamment Obama. Comment, une fois élu, il a utilisé ce média-là,
maintenant qu'il n'a plus besoin de ferveur populaire, qu’il a tous les pouvoirs. Son
speech inaugural, la vidéo sur Youtube a 1,5 million de vues. Depuis ce moment-là, il
s'est engagé à continuer à faire des petits discours toutes les semaines sur Youtube.
Il appelle ca les « weekly address » qui sont diffusés uniquement sur Youtube. Le
premier qu'il a fait comptabilise 1,2 million de visiteurs. Toutes les semaines, il
continue à faire des petits discours qu'il met directement sur Internet. Derrière, il y a
le drapeau américain, et il parle des sujet de la semaine. Si vous regardez
maintenant le nombre de vues, maintenant que nous sommes entre deux périodes
électorales, on est plutôt à 30 à 50.000 vidéos vues pour chacune de ces « weekly
address ». Ces prises de parole ont une fonction différente de celles qu'il faisait au
début. Il ne cherche pas à mobiliser, mais plutôt à maintenir un lien continu avec ses
citoyens, une espèce de fil directeur de son mandat. Il va multiplier les vidéos, sans
forcément chercher des chiffres et des audiences. C'est plutôt dans une logique de
présence : recréer à travers ces vidéos une présence continue. Ces vidéos le
montrent dans une posture presque familière : on montre le Président dans l'intimité,
ou dans des réunions anecdotiques. Comme ici, il s'invite à une table ronde sur les
jeunes. Cette vidéo va être postée sur son compte Youtube, elle va faire uniquement
quelques milliers de vues. C'est quand même diffusé sur son compte pour maintenir
ce lien continu entre deux élections, entre lui et ses électeurs.
Projection d'une vidéo.
- Alban Martin : Obama existe, il continue à s'exprimer : il rend sa personne visible,
présente dans l’esprit des citoyens, pour ne pas perdre le lien qu'il a tissé avec les
électeurs. C'est la manière dont cet élu va utiliser la vidéo : ce n'est pas uniquement
pour faire de l'événement, c'est pour garder un lien quotidien. Autre usage de la part
des représentants, c'est d'utiliser les vidéos pour mobiliser sur des questions de
société. Quelques petits exemples, notamment la campagne pour mobiliser le citoyen
autour de la réforme sur le système de la sécurité sociale l'année dernière aux États-
Unis. L'équipe de l'administration Obama s'est appuyée sur des citoyens actifs pour
faire pression sur le législatif, notamment ça a pris la forme du « Health Reform
Video Challenge », où Barack Obama a invité ses supporters à décrire ce qu'ils
attendaient de la réforme, avec leurs propres mots. C'est un peu de l'émotionnel.
Des gens qui témoignaient, pourquoi dans leur quotidien ils voulaient que la politique
change. On voulait faire passer un message politique sous forme de co-création…
Projection de la vidéo.
- Alban Martin : C'est le genre de production qui est réalisée en s'appuyant sur des
citoyens pour avoir plus de poids. Ca évite d'avoir un discours « Top down » du
représentant : c'est plutôt les citoyens par le citoyen. Le vécu du quotidien est
retransmis pour d'autres citoyens. Ca permet à l'élu de s'appuyer sur d'autres leviers
émotionnels pour faire passer des messages. Autre domaine de compétition : aux
États-Unis on utilise les concours, les prix, pour mobiliser les citoyens sur des causes.
Notamment, sur la grippe A. Le « Flu Video Contest », qui est récompensé d'un prix
de 2.500 dollars. Les vidéos citoyennes arrivaient à mieux faire passer la nécessité
de mieux se protéger contre la grippe A. Plus récemment, c'est Hillary Clinton et son
administration qui ont lancé un concours sur la démocratie : c'est un appel à
contribution citoyenne avec un prix à gagner. La limite est subtile entre partager de
manière bénévole des contributions sur la démocratie, et puis chercher un prix. Le
concours consiste à créer une vidéo qui démarre par : « la démocratie, c'est… » Au
citoyen de finir cette phrase, en disant ce qu'il pense de la démocratie. Le ministère
des Affaires étrangères américain a ouvert ce concours. N'importe quel citoyen de
par le monde peut participer à ce concours. Le prix à gagner, c'est un voyage tous
frais payés à Washington, à New York, et à Hollywood, durant lequel les gagnants
participent à un gala où leurs vidéos sont projetées, et ils rencontrent des défenseurs
de la démocratie. On voit que la frontière est ténue, entre ce qui est de l'ordre de la
propagande et de l’industrie locale, et le sujet de la démocratie. En tout cas, c'est
une manière de faire de la diplomatie d'une manière nouvelle : on vous tend la main,
vous avez ce concours, si vous voulez nous parler, on vous écoute. Ce n'est pas une
approche proactive, c'est une approche ouverte. Allez-y, si vous voulez nous parler,
vous avez un canal large. Maintenant, du côté du citoyen, quel est l'usage qu'il fait de
la vidéo quand il ne s'agit pas de promouvoir un parti politique ? On se rend compte
qu'entre les élections, les citoyens utilisent la vidéo pour réécrire le déroulé de
certains événements politiques. Un des exemples les plus connus…
Projection de la vidéo.
- Bérengère Beurdeley : On a fait des petits clips, pour que ça soit plus ergonomique
pour vous à regarder…
- Alban Martin : Donc une réécriture des événements politiques qui viennent d'avoir
lieu. Les citoyens vont assister à des évènements politiques, et vont avec les outils
du bord, des outils de production amateurs, ils vont réécrire un événement politique.
Je pense par exemple à un petit jeu autour de Wikileaks. Au moment où il y a eu
cette affaire, des internautes ont réécrit cet événement sous forme de dérision, avec
un petit jeu qui consiste à aider Julien Assange à insérer sa clé USB dans l'ordinateur
de Barack Obama…
Projection de la vidéo.
- Alban Martin : Là, Obama vous a vu, et Julien Assange va en prison. Un événement
politique occupe la Une des médias, les internautes vont se l'approprier sous forme
humoristique. Autre forme de dérision, autre manière de faire porter sa voix entre
deux élections, c'est utiliser la viralité sur Internet. C'est-à-dire faire des messages
humoristiques pour toucher une audience plus large. Par exemple, ce petit clip, « la
gauche m’a tué »…
Projection de la vidéo.
- Alban Martin : Plutôt que de faire un message sérieux, ces activistes ont décidé de
faire cette petite chanson, qui s'appelle « la gauche m'a tué ». Cette dérision est
parfois très opportuniste. Vous allez avoir un sujet d'actualité, par exemple les
retraites en septembre dernier, c'est un sujet qui va faire la Une de l'actualité
politique, il va intéresser des militants. Et de manière opportuniste, s'il se trouve que
d'autres sujets font par exemple du bouche à oreille sur la toile, vous allez avoir un
mélange des deux. Vous allez utiliser des vidéos qui vont bien marcher sur la toile, et
les détourner avec des messages politiques du moment. Ca va donner cette petite
vidéo, au moment où la réforme des retraites battait son plein en septembre 2010, il
y avait une vidéo où il y avait un député luxembourgeois qui avait un fou rire au
Parlement européen. Les militants ont décidé de sous-titrer la vidéo avec des
messages politiques en rapport avec la réforme des retraites…
Projection de la vidéo.
- Alban Martin : Ce n'est pas du tout la vraie traduction, vous avez compris. Elle a
été détournée. On a détourné le fou rire sur un sujet sérieux : une association tout à
fait opportuniste. Autre logique de détournement, pour faire passer des messages
politiques, c'est ce qu'on appelle les MEME. C'est un code qui va s'imposer : les
smileys par exemple. Personne n’a dit : point et parenthèse fermée, ça veut dire clin
d'oeil, ou sourire. Le premier qui a sorti ça s'est trouvé repris, et c'est devenu un vrai
code. Vous avez la même chose dans le domaine de la vidéo ou de la photo. Tout
d'un coup, un phénomène va être répliqué et va devenir un code de langage. Un des
MEME récurrents sur la toile, c’est la réutilisation du film « La Chute », sur les
derniers jours d’Hitler. Notamment le passage où Hitler apprend que la guerre est
perdue pour lui, et il s'énerve. Ce passage est très utilisé, détourné, avec du soustitrage,
pour faire passer des messages politiques. Ce détournement de « La Chute »
fait passer des messages, notamment sur la bourde de Brice Hortefeux…
Projection de la vidéo.
- Alban Martin : Je vous conseille de la voir en entier, c'est très bien fait. Là-dessus,
quel est l'impact ? Est-ce que ça reste de l'humour ? En s'appuyant sur les codes
d'Internet, plus un message est choquant ou drôle, plus il a des chances d'être
diffusé. Derrière, il est possible que la personne qui le partage pour la première fois,
fasse ça dans une optique de militantisme, et peut-être derrière on le partage juste
parce que c’est drôle. Au final, l'effet est le même. Vous avez l'impression que
l'opinion est très partagée, et indirectement, cela dégrade la réputation d'un homme
politique. Il y a un vrai impact démocratique dans ces vidéos. La petite vidéo que je
voulais vous montrer au début maintenant… Cela met à l'oeuvre pas mal de
compétences de la part de nos amis citoyens activistes. Les émeutes dans les
banlieues en 2005, qui ont été réécrites sous forme de vidéos d'animation. Pour cela,
les citoyens ont utilisé le jeu des Sims. Ils ont réécrit comme ça, en dirigeant les
petits avatars dans ce jeu, ils ont réécrit l'histoire des émeutes, la prise de parole à
propos du karcher, les deux adolescents qui sont morts… Cela a eu un écho certain,
notamment aux États-Unis.
Projection de la vidéo.
- Alban Martin : Derrière, cela dédramatise, et exprime un vécu, un ressenti vis-à-vis
d'un événement politique. Pour finir par une note humoristique, encore une fois, dans
cette logique de contribution spontanée, de réécriture d'événements politiques de la
part des citoyens, un MEME, cette fois-ci photo. Souvenez-vous, sur le Facebook de
Nicolas Sarkozy, au moment des 20 ans de la chute du Mur de Berlin, il y avait un
message, qui disait à la première personne : « je me souviens, j'étais là en 1989
quand le mur s'est effondré ». Sauf que deux jours après, les médias montrent que
c'était impossible. Il n'était pas présent en novembre 89. En fait c'était un mensonge,
il était là deux semaines après. Du coup, dans les commentaires de la page Facebook
de Sarkozy, un anonyme met un commentaire en disant : « à ce train-là, on va
apprendre que Nicolas Sarkozy est allé sur la lune ». A partir de ce petit commentaire
anonyme qui a été déposé sur la page de Sarkozy, s'est lancé de manière autonome
un MEME, un petit jeu dont les codes ont été partagés par tout le monde. Il consistait
à retoucher des photos historiques et à incruster le visage de Nicolas Sarkozy. On
parle de gros volume. De manière spontanée, les internautes ont fait ces petits
montages. Petit à petit, le phénomène prenant de l'ampleur, on touche des centaines
de milliers de personnes. Pour ouvrir les discussions de tout à l'heure, un usage qui
se passe en ce moment, dont l'impact sera vraiment ressenti en 2012, c'est comment
la vidéo crée une mémoire, des dossiers à charge sur des futurs candidats. C'est un
des usages directs de l'activité entre les élections, qui a ensuite un impact pendant
les élections présidentielles : cet usage de création de mémoire numérique dans
l'intermittence du suffrage universel. Il y a une mémoire qui est créée sur la toile, qui
aura un impact au moment des élections quand des vieux dossiers vont ressortir.
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