Note introductive: Le texte ci-dessous est le premier d'une série de cinq billets décrivant les nécessaires nouvelles technologies politiques, afin de créer une représentation démocratique interactive (et non pas une edemocratie ou un gov 2.0)
Ils sont tirés de mon ouvrage "Egocratie et Démocratie : La nécessité de Nouvelles Technologies Politiques". Bonne lecture !
En dernier lieu, la représentation interactive contribuera à augmenter la légitimité des actions étatiques, à condition de compléter quelques vides démocratiques actuels. La mécanique contributive doit notamment permettre le retour de la confiance (fides), qui cimentait historiquement la relation cliens/patronus. Faute de quoi la représentation se tiendra toujours dans une arène de cirque instable et sous-efficace. Cette confiance de la part des représentés passe par une bonne réputation des représentants. Cette dernière peut être augmentée par des procédures équitables et impartiales, dont Pierre Lascoumes, Michel Callon et Yannick Barthe dressent les contours : « Que chaque groupe ait pu exprimer son point de vue, que chaque groupe puisse constater que son point de vue a été pris en considération et discuté, et que, in fine, les mesures prises ont été décidées de manière impartiale, voilà quelques-uns des éléments qui, lorsqu’ils sont présents, produisent chez les acteurs concernés la conviction que la décision est juste. »[1] L’impartialité peut être simplement renforcée en autorisant un accès plus direct aux « back-offices » des procédures, c’est-à-dire en donnant des outils de contrôle directs ou indirects aux citoyens. Dans cet esprit, les Anglais ont adopté en 2005 le Freedom of Information Act, sur le modèle de celui en vigueur aux États-Unis depuis des décennies. Il permet de contraindre une administration à diffuser publiquement des documents qu’elle a en sa possession, si le secret défense ne s’y oppose pas. Cette loi présente ainsi un double impact sur l’impartialité de l’ensemble : les administrations font plus attention au respect des règles, et les citoyens, même s’ils ne font pas appel à la loi, sont rassurés de savoir que ce garde-fou existe.
Il convient également de rajouter aux procédures consultatives actuelles un moyen démocratique d’objectivation de l’impartialité de la procédure, potentiellement sous forme de jurys citoyens[2], ou bien via la cooptation de citoyens particulièrement actifs et concernés par le sujet, ayant acquis une bonne réputation auprès de tous. La règle du 1 % s’applique alors à nouveau, permettant une représentation interactive efficace avec l’aide de la participation à la procédure d’une niche de citoyens, génératrice de légitimité vis-à-vis de tous : « Les mêmes travaux sociologiques ont enfin mis en évidence que lorsque le fair effect process[3], produit par des procédures données, existe pour les groupes concernés par la décision, alors il s’étend naturellement aux groupes non concernés, éventuellement non impliqués dans la délibération ou la consultation. »[4] Les auteurs illustrent ensuite de manière didactique ce résultat de recherche : « Si les agriculteurs de la Meuse se battent pour la réouverture du dossier de l’enfouissement des déchets nucléaires, si les malades atteints du SIDA qui participent à un protocole d’essai thérapeutique estiment que les décisions les concernant sont justes, alors tous ceux qui ne sont pas directement impliqués auront tendance à partager cette évaluation. »[5]
L’attention à la particularité permet dans ce cas de légitimer auprès de tous la généralisation des conclusions. Dès lors, une politique durable peut être mise en place, se libérant de la tyrannie de la satisfaction court-termiste de besoins exprimés plus ou moins distinctement par l’opinion publique. En effet, cette procédure permet de renforcer la réputation des représentants, la confiance dans leurs décisions, et la légitimité des réformes dont les bienfaits se feront sentir à plus long terme.
Enfin, les interactions multiples avec les individus concernés permettent de matérialiser l’appartenance à un peuple souverain, donnant une consistance à la citoyenneté dans l’intermittence du suffrage universel. L’estime de soi se trouve également renforcée lorsque l’on a été écouté et entendu de manière respectueuse par les instances représentatives. Dès lors, un cercle vertueux se met en place entre l’affirmation positive de soi, via la reconnaissance individuelle apportée par l’interaction, et le renforcement de la légitimité de l’instance représentative qui a mis sur pied cette consultation. Cette corrélation positive est au cœur du modèle de psychologie relationnelle, qui permet de comprendre « pourquoi une personne peut respecter une autorité et la ressentir comme vraiment légitime, alors même qu’elle a pu prendre une décision défavorable à son égard ». L’interaction avec les représentants, via des procédures connues de tous, est donc la solution pour renouer le lien (fides) entre représentants et représentés, et éviter la transformation du citoyen en consommateur politique.
[1] (364) Michel Callon, Pierre Lascoumes, Yannick Barthe, op. cit., p. 332-333.
[2] (365) Yves Sintomer, op. cit.
[3] (366) Pour Michel Callon, Pierre Lascoumes, Yannick Barthe, cette expression désigne « le mécanisme par lequel les acteurs deviennent convaincus qu’une décision est équitable. Ce mécanisme, qui relève de la psychologie sociale, a fait l’objet de travaux empiriques qui ont permis d’en identifier les ressorts », op. cit., p. 331.
[4] (367) Op. cit., p. 332.
[5] (368) Ibid.
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