Note introductive: Le texte ci-dessous est le premier d'une série de cinq billets décrivant les nécessaires nouvelles technologies politiques, afin de créer une représentation démocratique interactive (et non pas une edemocratie ou un gov 2.0)
Ils sont tirés de mon ouvrage "Egocratie et Démocratie : La nécessité de Nouvelles Technologies Politiques". Bonne lecture !
"En premier lieu, il manque aujourd’hui plusieurs éléments pour profiter de l’agilité[1] apportée par la représentation interactive. D’une part, les moyens d’intégration de l’opinion publique par les représentants sont trop parcellaires et biaisés pour apporter réellement de l’agilité. Les sondages aux questions fermées, ou les revues de presse filtrées ne peuvent laisser place à la captation de « signaux faibles ». D’autre part, les processus de délibérations, de décisions, et d’implémentations de la volonté générale qui en découlent sont dans certains cas bien trop complexes et longs par rapport à l’enjeu. Dès lors, il convient de combler ces défauts par deux éléments démocratiques, afin de tirer parti de l’alchimie des multitudes.
Tout d’abord, certains champs d’activité caractérisés par leur impact sociétal de plus en plus fort, tels que les nanotechnologies, les biotechnologies ou l’écologie, devraient faire l’objet d’une veille spécifique de la part des représentants en charge de ces questions. En plus du suivi de colloques et autres sources d’informations officielles, les témoignages, les retours d’expériences individuelles, les vécus sont aussi à suivre spécifiquement via les outils de veille déjà largement déployés dans le secteur privé. De la même manière, les innovations en provenance des autres pays, dont les impacts sociétaux ne peuvent s’arrêter aux frontières d’un pays (comme les nouvelles technologies de communication), nécessitent également une granularité de suivi bien plus fine que pour d’autres sujets.
La volatilité de l’opinion publique et l’égocratie gagneront en lisibilité en fonctionnant sur un mode de palier. Un canal démocratique et transparent à destination de tous les citoyens, fondé sur différents paliers sur le modèle du seuil de soixante députés minimum pour saisir le conseil constitutionnel[2], permettra de fonctionner comme un système direct d’alerte[3]. L’improvisation et les jeux d’influence, plus proches du lobbying personnel que de la conversion d’une opinion publique à une cause, auront ainsi un outil pour les contrebalancer. Car l’agilité passe également par la possibilité de refuser démocratiquement la satisfaction immédiate de besoins plus ou moins médiatiques, s’ils sont injustifiés du point de vue de l’intérêt commun. Comme l’explique Pierre Rosanvallon : « La construction d’une histoire ainsi que la gestion du présent impliquent d’articuler des rapports très différents au temps social. Temps vigilants de la mémoire, temps long de la constitution, temps limité à une mandature de l’action parlementaire, temps court de l’opinion doivent se confronter et s’ajuster en permanence pour donner consistance à l’idéal démocratique. »[4]
De nouvelles procédures doivent être mises sur pied afin d’améliorer les réponses apportées à ces signaux faibles. La délibération ne peut être de la même nature pour un fait longuement mûri et stabilisé dans son expression que pour les sujets plus incertains définis ci-dessus. Une procédure délibérative intermédiaire et plus agile doit permettre d’agir par itération. Dans ce cas, « le débat ne prépare pas des décisions tranchées qui instaurent un avant et un après et qui permettent de se débarrasser une bonne fois pour toutes du passé. Il est fait d’une multitude de microdécisions, dont aucune, prise individuellement, n’est irréversible et qui pourtant finissent par tisser une trame robuste, au fur et à mesure que le débat mûrit et que les apprentissages progressent. »[5] Des économies de temps, d’argent et de moyens seraient apportées par une telle procédure itérative sur des questions mouvantes. Dans de telles conditions, la notion de risque et de principe de précaution est à redéfinir conjointement avec les individus concernés[6]. De tels processus favorisent la responsabilisation des citoyens, à qui on explique les risques tout en leur permettant des choix éclairés."
[1] (324) Face à des facteurs exogènes et endogènes de plus en plus volatiles et incertains.
[2] (325) Ou sur le modèle du site officiel de pétition anglais : http://petitions.number10.gov.uk/ où toute pétition recevant plus de 500 signatures en ligne reçoit une réponse d’un membre de l’administration anglaise.
[3] (326) Voir par exemple le site web mis en place par la RATP : https://www.vous-et-la-ratp.net/
[4] (327) Pierre Rosanvallon, op. cit., p. 210.
[5] (328) Michel Callon, Pierre Lascoumes, Yannick Barthe, op. cit., p. 262.
[6] (329) Op. cit., notamment le chapitre VI « L’action mesurée, ou comment décider sans trancher ? », p. 263 à 308. Les auteurs y expliquent comment les parties prenantes peuvent accepter de supporter un risque supplémentaire dans le cas d’un coopération entre « laboratoire confiné » et « laboratoire de plein air ».
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