Voici dans quels termes, mes amis, c'est joué l'avenir d'un secteur pour lequel on légifère en anticipation d'une peut-être possible baisse des revenues dans un horizon non défini...
Les passages que vous allez lire sont tous tirés du compte rendu officiel verbatim de la séance d'hier soir, consultable en intégralité, ici
Au sujet de l'amendement 168, clé pour la légalisation du download et de l'upload, les débats ont pris la tournure suivante :
"M. Christian Paul - L'amendement 168 est un amendement de grande sagesse. Nous avons proposé des dispositions audacieuses, notamment une rémunération très substantielle pour les artistes et les ayants droit finançant la création musicale par internet : nous souhaitons qu'elles s'appliquent pendant trois ans, étant donné les mutations du marché et l'évolution des pratiques de téléchargement. Cette expérimentation, loin d'être hasardeuse puisqu'elle serait encadrée dans la durée et ferait l'objet d'une évolution grâce à un bilan annuel, rapporterait dix fois plus à la création musicale que le chiffre d'affaires cumulé des plateformes commerciales en ligne, qui sont actuellement le seul modèle reconnu par le ministre.
M. Jean Dionis du Séjour - Pour le moment !
M. Christian Vanneste, rapporteur de la commission des lois - Avis défavorable. L'amendement est contestable, car il oublie la distinction fondamentale entre téléchargement individuel et copie privée. Il est paradoxal, puisqu'il rendrait transitoires les articles 1 à 4 du projet de loi...
M. Patrick Bloche - Heureusement !
M. le Rapporteur - ...et notamment les dispositions en faveur des personnes handicapées. Enfin, il est moins efficace qu'un amendement de M. Wauquiez qui prévoit un rapport d'étape dans un an, sans toutefois rendre le dispositif transitoire.
M. le Président - Sur le vote de l'amendement 168, je suis saisi par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public.
M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication - Avis défavorable : je me suis déjà suffisamment exprimé sur la licence globale pour ne pas avoir à le refaire.
M. Didier Mathus - Les technologies évoluent vite : les liens RSS, par exemple, apparus il y a quelques mois seulement, vont modifier l'économie générale de l'internet. Ce que vous voterez ces jours-ci sera inopérant dans quelques mois.
Alors que nous transposons une directive vieille de quatre ans, la Commission européenne en élabore déjà une nouvelle version. Pourtant, on veut nous faire croire que ce dispositif, que le Gouvernement défend pour aider les majors du disque, restera gravé dans le marbre de toute éternité : c'est déraisonnable. Nous proposons donc un régime transitoire, adapté à l'évolution rapide des technologies.
Le pari du Gouvernement n'a d'ailleurs aucune chance d'être gagné : comment empêcher des millions de jeunes de télécharger par quelques mesures policières ?
M. le Ministre - Mais non !
M. Didier Mathus - Certes, le Gouvernement est souvent tenté de réprimer la jeunesse par la violence, mais l'exercice a ses limites ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)
M. le Rapporteur - Quelle caricature !
M. Didier Mathus - On ne peut pas tous les jours déclarer la guerre aux jeunes, comme vous le faites ! Il faut raison garder. Seules quelques sociétés de gestion de droits peuvent rêver d'élever un barrage numérique contre l'évolution de la société : autant élever un barrage contre la mer avec une digue de sable ! Nous vous épargnons le ridicule en vous proposant un régime transitoire jusqu'à la fin de 2008.
M. Richard Cazenave - Ils disent n'importe quoi !
M. Patrick Bloche - Les textes que nous transposons sont déjà anciens, et le Gouvernement, dans sa diligence, a laissé passer trois ans avant de légiférer. Or, la nouvelle version du projet de loi ne résistera ni à la réalité de l'économie culturelle, ni à l'adaptation juridique qu'a entreprise la Commission européenne sans attendre notre transposition. Vous faites le pari, Monsieur le ministre, qu'avec votre projet de loi, dix millions d'internautes qui partagent des fichiers migreront spontanément vers les offres commerciales.
M. le Ministre - Les offres légales !
M. Patrick Bloche - Pour éviter que vous ne perdiez ce pari, il est indispensable de légiférer de manière transitoire jusqu'au 31 décembre 2008. En proposant un système de contravention à 38 euros, vous perdez en dissuasion ; mais dans le même temps, vous maintenez obstinément l'interdiction du partage de fichiers : voilà pourquoi vous perdrez votre pari !
Allons plus loin encore. M. le rapporteur propose un rapport dans un an : pourquoi pas ? Mais il faut surtout prévoir une date butoir pour la législation, contraignant ainsi le gouvernement en place au 31 décembre 2008 à proposer de nouvelles mesures aux assemblées. C'est en fixant un terme raisonnable à la législation que nous accompagnerons la transition numérique de la filière musicale. Sinon, votre pari perdu aura des conséquences désastreuses sur la rémunération des artistes.
Mme Christine Boutin - Je salue notre retour au débat de fond. Sur de tels sujets, nous devons éviter l'opposition partisane et défendre l'intérêt général.
Je suis favorable à cet amendement, car tout ce que nous décidons aujourd'hui sera obsolète dans les mois qui viennent.
M. Christian Paul - Bien sûr ! C'est le ministère de l'obsolescence !
Mme Christine Boutin - L'amendement 168 propose un délai raisonnable pour faire le point. Certains d'entre nous sont bien conscients des enjeux. Il ne s'agit pas d'un débat entre droite et gauche, mais entre anciens et modernes !
Ne nous inquiétons pas trop, je pressens qu'un recours auprès du conseil constitutionnel est à l'étude. On peut définitivement parler de masquarade en ce qui concerne ce projet de loi.
Rédigé par : seber | 10/03/2006 à 14:36