La musique n'est pas un "produit" comme les autres, il s'agit d'un "bien d'expérience". Qu'est-ce que c'est? qu'est ce que cela implique sur la manière dont nous "consommons" la musique?
L’accès aux produits de l’industrie du divertissement et la transparence ont été grandement facilités avec internet. Les pré-écoutes de 30 secondes des morceaux sur les plateformes de téléchargement légal comme iTunes ou le nombre d’écoutes limité des chansons au format weed illustrent cette tendance. Les réseaux de Pair à Pair sont également une revendication de cet accès avant l’achat. Le principe des réseaux de Pair à Pair (Peer to Peer en anglais ou P2P) est le suivant : On installe un logiciel de P2P, téléchargeable gratuitement en quelques minutes. Une fois ce système de partage de fichiers sur son ordinateur, il est possible d’échanger de la musique, des films ou tout autre type de fichiers à travers le monde avec les internautes connectés, et ce gratuitement.
De nombreuses études ont montré qu’obtenir gratuitement du contenu multimédia n’était pas la motivation première des utilisateurs de ce type de logiciels[1]. Le « sampling », c’est-à-dire le téléchargement pour découvrir un artiste, un film ou un jeu, reste l’avantage premier de cette activité. Ce désir de sampling est inhérent au caractère même de la musique par exemple, comme l’explique Benjamin Labarthe : « il existe deux manières de découvrir un nouvel artiste : à travers le temps que l’on consacre à sa recherche ou bien à travers des discussions avec des proches. Ce processus entraîne des coûts de recherche, et perdure tant que les coûts de recherche qu’il engendre n’excèdent pas l’espérance d’utilité attendue de la consommation. Des moyens existent pour diminuer ces coûts de recherche comme la publicité.(…) On peut également citer la présence de bornes d’écoutes ou encore les critiques de journaux spécialisés. Les récompenses comme par exemple les disques d’or visent également à envoyer au consommateur des signaux informationnels relatifs à la qualité du bien. »[2]. Le « sampling », rendu possible à grande échelle grâce au P2P, montre le désir du public d’accéder à plus de contenus, notamment en amont de la décision d’achat.
Ce désir
d’accès se trouve étroitement lié à la nature même du bien proposé par
l’industrie du divertissement : un bien d’expérience. En effet, on
ne peut juger vraiment de la qualité d’un bien d’expérience avant d’en avoir
justement « fait l’expérience », lu, joué, écouté ou regardé. Par
exemple, si je vous dis que cette voiture coûte 15 000 Euros, avec un moteur
16 soupapes en « V » et monte à 200 Kilomètre/heure, vous pouvez
commencé à nourrir un intérêt pour ce bien. Par contre, si je vous dis que ce
morceau coûte un Euro et qu’il inclus de la guitare, de la batterie et du
synthé à 70 BPM, il vous sera difficile de l’acheter sur ces seuls critères.
Tant que vous n’avez pas écouté le morceau, vous n’êtes pas sûr de
l’apprécier : d’un album sur l’autre, un même artiste peut vous décevoir.
L’absence de critères objectifs pour juger la qualité d’un morceau a sans doute
conduit Apple à adopter un prix unique pour ses singles vendus sur
iTunes : 0,99 cents pour tous, et 10 Euros l’album ! D’où
l’importance accordée aux recommandations et aux extraits pour déclencher
l’acte d’achat.
l’accessibilité permet également d’effectuer des essais et des tests pour adapter un produit à une expérience personnelle. Le modèle de co-création ne peut s’appliquer si les consommateurs sont obligés de posséder le produit à chaque fois qu’ils désirent interagir. Cet aspect a été mis en avant par Amazon.com : afin de pouvoir apporter aux clients une expérience aussi bonne et aussi riche qu'une vraie bibliothèque, Amazon.com a entrepris de scanner des pages de la plupart des livres proposés dans la boutique virtuelle. Les tables des matières ou bien certains chapitres spécifiques sont le plus souvent accessibles sur le site Internet[3].
Cette initiative est l’une des plus ambitieuses au monde, et donnera accès à terme à des milliers de documents. La transparence également aide à créer une atmosphère de confiance et à développer la loyauté envers la marque. Et cette confiance est déterminante dans le choix des consommateurs de s’impliquer et d’interagir avec la marque. Jeff Bezos, le fondateur de Amazon.com, est allé jusqu’au bout de cette logique en conseillant de “ne pas investir dans ce que le consommateur ne peut pas voir”. Toute zone d’ombre peut faire naître des soupçons et se révéler contre-productive; ou bien être dénuée de valeur puisqu’elle empêche la co-création.
Les éditeurs de logiciels ou de jeux vidéos ont compris ce besoin de tester le produit, afin d’en faire bon usage. Ils ont ainsi créé les Sharewares. Ce sont des logiciels distribués gratuitement. Mais leur utilisation gratuite est limitée dans le temps ou limite en terme de fonctions accessibles, à moins de s’acquitter d’un montant donné, une fois l’adéquation du produit à ses besoins est prouvée. Les éditeurs diffusent également « généreusement » des versions de démonstration de leurs produits, afin que tout un chacun puisse librement se faire une idée de l’intérêt du jeu.
La musique
quant à elle trouve dans le « streaming », c'est-à-dire la diffusion
en temps réel d’un enregistrement via le net sans en transférer la possession,
un moyen de faire l’expérience d’une chanson avant de l’acheter. Yahoo !
a bien compris ce besoin du public de découvrir aisément et à moindre coût de
nouveaux artistes : la multinationale du net propose ces temps-ci pour 5
dollars [ou 15 dollars] par mois l’accès illimité à sa base de chansons, soit [xx morceaux]. La fin de la souscription rend bien sûr
les morceaux illisibles. Internet et les nouvelles technologies facilitent donc
grandement l’accès aux produits de l’industrie du divertissement, et montrent
que de nouveaux modèles économiques peuvent émerger autour de cette
disponibilité : dans tous les cas, l’accès est toujours valorisé, qu’il
aboutisse ou non à la possession, car il participe à la bonne expérience du
produit.
[1] Tariq Krim, P.chantepie, Yann Nicolas, benjamin labarthe
[2] Benjamin labarthe Piol, in L’impact d’Internet sur l’industrie du disque : vers un nouveau régime de croissance
[3] Source: Ian Clarkson, senior financial manager chez Amazon.com et Bart Hoemann, Finance Manager à Amazon.com, pendant une conference à la business school de l’Université du Michigan, 15 Octobre 2003
Très intéressant Alban. Je ne savais pas qu'Amazon proposait ce service de consulter quelques pages d'un livre, mais cela peut grandement aider les acheteurs dans leurs choix.
Tu fais le parallèle entre la musique et le software, alors, je me demandais si une initiative du type Musique Shareware (DRMisé) existait: un site distribue gratuitement les morceaux, pour écoute, avec durée d'utilisation limitée, pour aider les audionautes à déterminer si leur expérience est bonne et justifie l'achat de musique. Auquel cas, le streaming des morceaux sur le portail musical perdrait de son sens.
Rédigé par : Sébastien Kleinhans | 27/09/2005 à 10:26
Bonne question: les DRM "weed" permettent par exemple d'écouter 3 fois un morceau librement, puis ensuite il faut payer un Euro pour le debloquer à vie (dont la moitié est reversée à l'artiste, et 30% aux revendeurs successifs...)
Rédigé par : alban | 27/09/2005 à 10:54
3 fois, cela me semble peu. Selon ma propre expérience, qui vaut bien entendu ce quelle vaut, il me faut en général 1 mois pour apprécier un album. Quand on parle d'expérience musicale, je l'entends dans ce sens.
Or, aujourd'hui, en dehors des circuits officiels, la musique par le P2P est distribuée gratuitement. Pourquoi acheter une fois que l'on possède? Les DRM "weed" sont a priori un bon début, mais qui mériterait selon moi d'être étendu à une période plus significative (ou à un nombre d'écoute plus grand).
Rédigé par : Sébastien Kleinhans | 27/09/2005 à 11:01
Yahoo propose un peu plus d'un million de morceau sur son service musicale.
http://music.yahoo.com/unlimited/
dommage que ce ne soit que de la location... mais en même temps c'est peut être un moindre mal que d'avoir à payer 5$ par mois pour découvrir toute la musique que l'on veut et ensuite avoir la possibilité de graver le morceau moyennant un montant supplémentaire (0,79cts).
je trouve le système trés efficace et les seuls repproches que je puisse lui faire c'est sa pauvreté en musique française et l'indisponibilité du sevice en Europe (obligé de payer en $ c'est mon banquier qui est heureux...).
Rédigé par : Jérémy | 27/09/2005 à 20:09