Tout part du constat que la rareté d'un morceau n'est plus un élément lui permettant de se monnayer: les Majors essaient de réintroduire de la rareté dans leur production au travers notamment des DRM et du blocage du Peer 2 Peer pour justifier d'un prix non gratuit. Cette méthode aura le succès qu'elle aura, l'avenir le dira…
En tout cas, on peut également envisager d'autres méthodes pour valoriser la création musicale. On peut intégrer le fait qu'aujourd'hui, des millions de personnes possèdent plusieurs Gigas de MP3 sur leurs disques durs, et qu'il faut donc rentabiliser a posteriori ce catalogue déjà amorti en partie par les ventes de CD.
Apple réfléchit actuellement sur une fonctionnalité de iTunes que l'on pourrait appeler "make it legit": cette fonctionnalité comparerait le catalogue iTunes avec les morceaux de la librairie de l'internaute, de manière confidentielle, et permettrait de remplacer un à un les morceaux piratés par les originaux. Le prix de substitution pourrait être un prix discount, ou incluant par exemple l'envoi d'une photo dédicacée de l'artiste, ou une remise sur une place de concert.
Ou alors, on peut imaginer l'installation d'un logiciel sur l'ordinateur, qui recenserait de manière anonyme les MP3 présents sur le disque, et proposerait l'accès premium à du contenu exclusif (concerts inédits, chat avec l'artiste etc…) en fonction du nombre de morceaux stockés. En effet, plus on possède des morceaux d'un artiste, plus on est fan. Donc ce programme permettrait de recenser les fans, de les cibler et de les co-opter. Il n'y a pas meilleur agent "commercial" que le fan ! donc autant les choyer car ils font découvrir les artistes aux autres et parlent en leur nom. Vous imaginez recevoir un mail de [email protected] par exemple expliquant "Vous possédez la plupart de mes morceaux sur votre disque dur, je vous propose d'acheter en exclusivité mon Live à Philadelphie et/ou une place premium pour mon futur concert à Paris". En ciblant des fans avec de telles offres, on a plus de chance de trouver des personnes prêtes à payer pour des produits musicaux adaptés à leurs besoins.
Enfin, on considère de plus en plus la musique comme une simple "commodité", un peu comme une matière première tant elle s'est répandue de manière exponentielle depuis Napster Version 1. La rareté n'existant quasiment plus en matière musicale, pourquoi ne pas prendre à la lettre cette idée de commodité, et considérer par exemple iTunes et iPod comme la station service et la voiture? Pourquoi ne pas imaginer un système transformant la musique en carburant pour baladeur MP3. Si les personnes stockent autant de Giga différents sur leur disque dur, c'est parce qu'elles aiment bien varier les écoutes de manière périodique. Donc on peut imaginer des morceaux à transférer sur un nouveau type de baladeur MP3, ces morceaux ayant une durée de vie d'un mois par exemple (c'est déjà faisable techniquement). Puis au bout d'un mois on recharge son baladeur en ligne avec du carburant musical. En trouvant le bon niveau de prix, avec les services exclusifs qui vont avec (points de fidélité "changer de baladeur" suivant la consommation, découverte en avant première de morceaux, des gammes de prix du "carburant" variable suivant le morceau), on peut trouver un public conquis.
Il ne s'agit que de quelques pistes à creuser, pour montrer la voie vers une issue à "l'amiable" du conflit entre les majors et les internautes…
Bonjour Alban,
j'ai beaucoup apprécié ton analyse de la situation du P2P et des réactions des industriels. Le concept de co-création est une superbe découverte.
Pour ma part, j'avais une autre analyse. Elle complète probablement la tienne.
La liberté (qui aurait paru incroyable il y a encore une vingtaine d'années) que donne internet, sur les différents plans des informations évenementielles et politiques, de la pensée individuelle, de l'association des gens entre eux (citoyens comme malfaiteurs), cette liberté n'est pas tolérable pour bien des gens qui détiennent une portion de pouvoir.
Depuis quelques années, il y a un sévère retour de bâton qui vient principalement, comme chacun le sait, des USA après avoir fait croître eux-même l'instrument internet.
Le schéma est bien connu: pour faire passer une pratique impopulaire, on commence par la rendre sexy puis les gens l'adoptent volontairement et même sont d'accord pour payer ce qui les privent d'une partie de leur liberté.
Exemple: les premiers essais nucléaires américains étaient particulièrement impopulaires. Le gouvernement les a pratiqués sur les îles Bikinis et a fait ce qu'il fallait pour que ce mot soit synonyme d'érotisme en favorisant la ligne de maillots de bains deux pièces pour jeunes filles. Lesquelles pouvaient éventuellement mieux montrer leurs poitrines "atomiques", etc.
Actuellement, Internet a rendu sexy l'ordinateur en réseau. La plupart des accrocs du net sont également accrocs au téléchargement de photos érotiques, de films pornos et de musique. C'est-à-dire de plaisir, d'orgasmes… En érotisme (comme en musique), le choix semble absolument illimité et peut paraître parfois plus attractif qu'une relation réelle de couple.
Nous avons donc maintenant tous ou presque un ou plusieurs ordinateurs connectés dans nos logements. Nous les avons achetés fort cher; comme tout produit industriel, leur obsolescence programmée nous oblige à les renouveller fréquemment, nous rendant un peu plus dépendants d'un investissement à rentabiliser.
L'objectif final de toute cette organisation à échelle mondiale me semble:
- de financer l'infrastructure très lourde de la mise en réseau en tous points de la planète
- de favoriser la communication à bas coût pour les multinationales
- de créer un outil pour contrôler chaque individu, chez soi, en-dehors de chez soi (grâce au téléphone portable), à son travail.
En France comme à l'étranger, après le formidable prétexte de la guerre contre le terrorisme et les lois liberticides et anti droits de l'homme sur la sécurité, l'industrie musicale me semble ne servir actuellement que d'éclaireur pour tester les outils de contrôle et les limites de ce que les populations sont prêtes à accepter.
D'ores et déjà un email est plus transparent qu'une lettre postale, il est par exemple devenu impossible de transmettre de Grèce un email comprennant dans son titre le mot de la province de "s a l o n i q u e" à cause de de la juxtaposition de deux mots interdits "s a l o" et "n i q u e". Alors que cela n'aurait aucun effet d'envoyer le même texte dans une enveloppe postale. Ca c'est la censure classique et bien présente.
Mais il y a aussi l'éclatement de la sphère privée par l'explosion à tous publics des informations sur soi par le biais des moteurs de recherche (comme recherche policière mais en plus convivial) et spécialement du plus efficace d'entre eux, Google.
Exemple: Rien que pour ma petite personne, j'ai droit à 10 pages de ce moteur de recherche. On y retrouve des textes de mails passés dans un yahoogroupe (comment est-ce possible ?), des signatures de pétitions, des articles que j'avais passés dans des réseaux plus ou moins confidentiels, des invitations à mes balades en forêt, des infos à la fois sur mes activités antinucléaires et pour promouvoir un système de proportions en architecture et en urbanisme. Tout mon passé est étalé en 10 pages de liens. Ce n'est d'ailleurs plus la peine de postuler à un quelconque emploi car il y a là de quoi me rendre suspect pour le moindre petit chef un peu méfiant. Par mes activités sur la toile, je suis fiché non pas seulement aux Renseignements Généraux français mais auprès de tous les services des Renseignements Généraux du monde entier, auprès de tous les employeurs, de toutes les femmes et de tous les hommes curieux de savoir qui je suis, bref du public mondial. Pour me rassurer et pouvoir dormir la nuit, je me dis que c'est devenu une partie de ma notoriété et que je n'ai désormais pas intérêt à cacher à quiconque une de mes actions sous peine de passer rapidement pour un sacré menteur, puisque tout ou presque est devenu contrôlable sur Google.
Big Brother est introduit désormais chez chacun d'entre nous. Son efficacité maximale n'est qu'une question de temps et de mise au point des outils. Cela vient.
Dans ce contexte, l'épisode soi-disant douloureux de la musique en ligne ne me semble être qu'un passage râté d'une industrie qui préfère se cantoner à conserver frileusement ses privilèges et ses manques d'ouverture tant artistique qu'intellectuelle. Le pouvoir politique en place profite de l'aubaine d'une crise bien relayée par les médias pour passer progressivement à l'acte répressif.
Pour ce qui est de la co-création dont tu parles, j'aimerais bien lire ton livre en français, mais d'après ce que j'en ai compris, cela va dans deux sens:
- Le premier, que tu préconises, étant donné ta formation HEC et ton milieu socio-professionnel, va dans le sens de conforter le désir du marché qui nous amène imperceptiblement mais sûrement à Big Brother.
- Le second, que je préconise, étant donné mon militantisme et mon milieu socio-psychologique, se rapproche de la "consom'action" décrit par Jean-Pierre Rimsky-Korsakoff, secrétaire du MAPIC - Mouvement "Appel pour une insurrection des consciences". Chaque acte de consommation est un acte politique au sens philosophique. Donc, chaque consommateur, dans ses choix, a un pouvoir politique qui devient considérable avec le nombre. Cette pratique représente également une partie croissante du marché, proche de l'altermondialisme et de la responsabilisation citoyenne vis-à-vis des générations futures.
Avant l'émergence d'un contrôle total du style de ce que Microsoft avait projeté avec Paladium, Internet permet encore l'organisation d'énormes mouvements d'opinion indépendants des pouvoirs en place.
Je mets en place actuellement un projet d'entreprise de construction écologique qui inclut l'association de ses consom'acteurs. C'est une forme de co-création. Je sens une jonction de ces deux concepts sans que cela soit encore bien clair dans mon esprit.
A bientôt,
Régis
Rédigé par : Régis FAGUELIN | 07/02/2005 à 02:23
Regis,
En voila une analyse interessante et, comment dire... originale ! J'aime bien lire des idees qui sortent de l'ordinaire: elles ne sortent de l'ordinaire d'ailleurs que tant qu'elles ne se sont pas verifiees, a nous d'anticiper celles qui vont se verifier, et les autres...
Il est probable que je te contacte bientot pour discuter un peu, ton point de vue est interessant et nous permettrait de clarifier nos idees.
Bon courage dans ton initiative ecologique dans tous les cas,
Alban
Rédigé par : Alban | 07/02/2005 à 09:19